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Mode

De fil en aiguille, la mode de demain s’invente à Pantin

Les préoccupations environnementales et sociétales, largement partagées en matière d’alimentation, gagnent du terrain dans le domaine de la confection à Pantin.
Extrait du dossier "De fil en aiguille, la mode de demain s’invente à Pantin" réalisé par Pascale Decressac, Guillaume Gesret et Tiphaine Cariou, publié dans Canal n°300, octobre 2021.

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L’histoire de Pantin est étroitement liée à celle de l’industrie textile. Si les filatures Cartier-Bresson, installées pendant un siècle à Pantin, ont durablement marqué le territoire et les esprits, la ville a aussi hébergé les entrepôts des grands magasins du Louvre et du chausseur André, l’atelier de costumes Fabio Lucci et beaucoup de «  petites mains ». L’émergence du prêt-à-porter à bas coût et la désindustrialisation a bien sûr rebattu les cartes. Mais Pantin a su rester une terre du « faire » et surtout du «  bien faire  ».
La fin du XXe siècle a en effet vu le retour du secteur de la confection dans la cité. Motivé par des prix du foncier moins élevés qu’à Paris, et voulant se rapprocher de ses ouvriers, Hermès s’installe place Olympe-de-Gouges dès 1992. Jusqu’au printemps dernier, plusieurs artisans d’art (brodeurs, plumassiers, bijoutiers, dentellières…) du groupe Paraffection, appartenant à Chanel, s’activaient encore au bord du canal. Prochainement, la marque de prêt-à-porter haut de gamme Majestic filatures devrait s’implanter dans le quartier Méhul.
Cet écosystème n’est sans doute pas sans lien avec l’installation, en 2017, d’Esmod qui, avenue Jean-Lolive, accueille 350 étudiants. Deux ans auparavant, la Maison des Compagnons du devoir ouvrait ses portes rue des Grilles, proposant une formation d’excellence dans le domaine de la maroquinerie et de la cordonnerie. Quant à la Maison Revel/Pôle des métiers d’art d’Est Ensemble, elle est établie depuis 2008 aux Quatre-Chemins où elle dispose d’un département mode et accessoires.

Le monde change, la mode aussi

Mais la ville inspire aussi les créateurs. C’est ici que le styliste malien Lamine Kouyate a imaginé et développé sa marque Xuly Bët. Ultra tendance dans les années 1990, elle séduira les stars de l’époque, à l’image d’Ophélie Winter ou de Neneh Cherry. Un créateur résolument visionnaire puisqu’il utilise principalement des tissus recyclés et prône l’upcycling, comprendre l’art d’offrir une nouvelle vie aux vieux vêtements en les transformant. Ce phénomène prend aujourd’hui de l’ampleur et gagne les marques les plus prestigieuses, comme Hermès dont le Petit h crée, à Pantin, des modèles uniques et très recherchés à partir de rebuts. La récupération de ces chutes, la Réserve des arts en a justement fait sa spécialité. Avenue Édouard-Vaillant, cette entreprise de l’économie sociale et solidaire collecte chaque année 700 tonnes de matériaux, dont des tissus, cuirs et autres boutons qu’elle revend, entre autres, à des stylistes.
À l’heure où l’industrie de la mode est accusée d’être l’une des plus polluantes de la planète, l’économie circulaire semble résolument dans l’air du temps. «  La seconde main et le réemploi sont une vraie tendance. C’est un marché en pleine explosion. Certains spécialistes estiment qu’en 2028, il pèsera plus lourd que celui du prêt-à-porter à bas coût  », confirme Adeline Dargent, responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.

Pantin en première ligne

Ainsi, les initiatives locales se développent tous azimuts, à l’instar du Dressing solidaire, projet lauréat du premier budget participatif qui, en partenariat avec les associations Pantin Family et Réseau éthique, a récemment donné naissance à 93 remèdes à la mode. «  L’idée est de faire découvrir des manières de s’habiller qui respectent davantage l’environnement et les gens  », précise Morgane Leprince, présidente de Réseau éthique. Pantin Family a, dans ce cadre, coordonné une série de podcasts abordant tous les aspects de la mode éthique et responsable, quand des bénévoles des trois structures ont animé des ateliers de couture et de tricot.
«  C’est un moyen de trouver d’autres manières de créer, de consommer et de vivre », résume Arielle Lévy, fondatrice du collectif Uamep (Une autre mode est possible) qui organise ce mois-ci, à la Cité fertile, le Festival des autres modes. «  Nous défendons la slow fashion, une mode qui redonne du sens, crée de l’emploi, du lien et s’intègre sur le territoire  », précise-t-elle. Et, en la matière, Pantin part en pole position…

Un festival pour tisser du lien
Le Festival des autres modes s’installe à la Cité fertile les 15, 16 et 17 octobre. Loin des strass et des paillettes, cet événement, dédié à la mode libre et durable, appelle à la réflexion… et à l’action. De la récolte du chanvre ou du lin à l’achat du produit fini, ses organisateurs proposent un parcours visant à faire de chaque participant un consom’acteur. Trois jours durant, producteurs, artisans et artistes partageront leurs savoir-faire via des conférences, des ateliers ludiques et créatifs, des expositions et un espace de vente.
> Du vendredi 15 octobre à 12.00 au dimanche 17 octobre à 22.00
> Cité fertile, 14, avenue Édouard-Vaillant. Gratuit. Programme complet sur le site internet de la Cité fertile
> Pass sanitaire exigé

3 questions à…

Salim Didane, adjoint au maire délégué au Développement territorial, à l’Emploi, à la Formation et à l’Économie sociale et solidaire.

Canal : La mode constitue-t-elle un avenir économique pour Pantin ?
Salim Didane : L’histoire de Pantin est liée à celle de l’industrie, et notamment à celle du textile. Aujourd’hui, au-delà des grands noms, il y a un vrai enjeu pour la ville à se positionner comme un acteur de la mode responsable et durable. Le devenir du secteur n’est pas dans le prêt-à-porter, qui peut parfois s’apparenter au prêt-à-jeter, mais dans l’économie circulaire, la fabrication française, la réintroduction et la valorisation des filières. Dans ces conditions, les métiers du textile peuvent créer des emplois, quels que soient les niveaux de formation. Les anciennes filatures Cartier-Bresson étaient établies aux Quatre-Chemins. La ville pourrait sans doute renouer avec cette tradition…

Mais qu’entendez-vous au juste par mode responsable ?
S.D. : Nous sommes tous sensibilisés au gaspillage alimentaire, à la nécessité de promouvoir les circuits courts et locaux. D’ici cinq ans, je suis sûr que cette même prise de conscience aura gagné l’univers de la mode. La surproduction, le gaspillage, les dégâts que la fast fashion engendrent sur l’humain et l’environnement deviendront peu à peu des préoccupations majeures. Demain, on ne rêvera plus du survêtement de marque que tout le monde porte, mais du pantalon unique dégoté en friperie. Le dressing solidaire, la seconde main et la fripe sont des modes de consommation responsables. Et nous pouvons les développer.

Avez-vous des projets précis en la matière ?
S.D. : Pantin est au cœur du territoire de création du Grand Paris. Esmod, une école de renommée mondiale,  a choisi de s’installer ici.  C’est au Centre national de la danse qu’est organisée la biennale Émergences, dédiée au design et aux métiers d’art. Nous avons aussi la chance d’abriter la Maison Revel, un pôle qui regroupe les artisans d’excellence exerçant sur le territoire d’Est Ensemble. Ce dernier s’est récemment ouvert aux métiers de la mode et du design. Mais le chemin de la concrétisation reste à construire. Pour aller plus loin, et permettre aux jeunes stylistes et créateurs de développer leurs savoir-faire, nous pourrions, par exemple, créer un tiers lieu qui leur soit dédié. Là, ils pourraient inventer la mode de demain.

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